Proposé en Ciné-débat par Vive le cinéma le mardi 7 décembre 2021
Dieu est une femme, on s’en doutait, mais on ignorait qu’il sait nager.
Dieu existe, son nom est Petrunya est un film macédonien, troisième long métrage de Teona Strugar Mitevska, lauréate du prestigieux prix LUX en 2019, décerné par le Parlement européen.
Rendons grâce au prix Lux, qui a toujours distingué des films exceptionnels, de favoriser ce cinéma divers et exigeant et surtout de nous permettre de découvrir des chefs d’œuvre en provenance de toute l’Europe.
Petrunya, ou la force de se jeter à l’eau
Le film est inspiré d’un incident qui s’est produit en Macédoine du nord (l’ex-Ancienne république yougoslave de Macédoine), en 2014, lorsqu’une femme, s’étant emparée de la croix lors de la cérémonie rituelle de l’Epiphanie, réservée aux hommes, avait finalement dû quitter le pays en raison du scandale. Voilà pour l’histoire, mais sur cette trame, Teona Strugar Mitevska construit un film surprenant qui dépasse de bien loin l’anecdote et réussit comme ses précédents films à dépeindre son pays dans toute sa complexité. Son personnage, magnifiquement interprété par Zorica Nusheva, est une trentenaire surdiplômée, sans emploi, et sans histoire, qui traîne son désœuvrement entre l’appartement de ses parents où elle vit toujours, des entretiens d’embauche aussi infructueux qu’humiliants et une copine qui ne la comprend pas. Jusqu’au jour où, trop d’ennui, trop de frustration, font qu’elle se jette à l’eau. La croix est censée apporter à celui qui l’attrape succès et chance pour une année entière, alors maintenant qu’elle la serre, Petrunya n’est pas prête à la rendre, quand bien même la terre entière viendrait la lui réclamer.
Un huis clos magnifique
Mais voilà, la croix doit porter chance à celui qui sait la repêcher dans l’eau glacée… mais rien n’est prévu pour celle qui la conquiert de force contre les coqs du village. Et le scandale est une véritable onde de choc, à la mesure de cette société fossilisée dans ses traditions. Il y a deux structures narratives dans Dieu existe. La première, classique, est celle de l’emballement des circonstances, complètement fou, qui va bouleverser cette bourgade endormie et mettre progressivement aux prises tous ses acteurs : Eglise, police et justice, médias, population, tout le monde se mêle de cette histoire de croix, qui voulant comprendre les motivations de Petrunya, qui voulant lui faire rendre gorge. Mais le film se dirige bien vite vers un autre mouvement, autrement plus passionnant, qui va se jouer dans le huis clos du commissariat. Petrunya est arrêtée, et sans jamais qu’on sache exactement de quoi elle est accusée, ni même si elle est accusée, elle va être la cible d’un ensemble de pressions, venues de toutes parts, et qui vont crescendo dans un suspense aussi étouffant qu’éprouvant.
Une mise en scène d’une grande intelligence
Dans le maëlstrom déclenché par le geste de Petrunya et qui fait vaciller toutes les certitudes rassises, se dessinent les contradictions de la société macédonienne, où chacun est pris au piège d’oppositions aussi archétypales qu’archaïques, le pope contre la commissaire, les hommes contre les femmes, la mère contre la fille. Mais, dans cet intelligent huis clos servi par une mise en scène magnifique, tout en jeu de reflets et de miroirs sombres, les apparences sont trompeuses, les faux-semblants se craquellent et les oppositions se brouillent. Des alliances s’esquissent, des rebondissements rebattent les cartes de rapports de force pas aussi joués d’avance qu’on pouvait l’imaginer de prime abord. Au cœur de cet étrange ballet qui se joue autour d’elle, Petrunya, silencieuse, humiliée, fragile, apparaît d’abord comme une victime désignée, avant que le spectateur ne découvre toute la profondeur d’un personnage, redoutable d’intelligence, obstinée, magnifique, et que cette épreuve de force va révéler.
Dieu existe, son nom est Petrunya, et il est né en se jetant dans l’eau du fleuve.
Sophie Garnier pour VLC